Nous avons choisi de vous présenter Remy Tortosa car nous avons été émus par ses portraits. Ce jeune photographe autodidacte, ancien sergent chef des Pompiers de Paris, a fait de la photo son chemin vie. Celui-là même qui l’a emmené à Los Angeles pour y exprimer son talent. Avec une première exposition réussie de portraits, il est sollicité entre autre par le milieu de la mode. Pour lui un artiste c’est un fou qui a réussi, il se dit pour l’instant n’être qu’un fou, pour un jour devenir un artiste.
Maison Sensey : Ça a débuté comment ?
Remy Tortosa : En janvier 2016, je déjeunais avec ma famille à Paris au restaurant “Le Petit Pont” en face de Notre Dame. A travers la vitre de ce restaurant mon regard a croisé un homme, un sdf. Il ne me regardait pas particulièrement mais moi je le voyais et j’ai eu une gêne, un sentiment de culpabilité. Nous, à l’intérieur, entrain de fêter la nouvelle année et lui, tout seul. J’ai décidé de lui faire un sandwich avec ce qu’il y avait sur la table et je suis sorti pour le lui offrir.
Nous avons discuté un peu et nous avons eu un très bon feeling. Je lui ai demandé l’autorisation de le prendre en photo. J’adorais son bonnet avec les chiffres 2016 mais avec le zéro qui tombe, il avait un air décalé et surtout une force et une énergie très positive. De là sont sortis quelques portraits. Du coup, je me suis dit que je ferais de la photo quand je trouverais le temps.
Et puis j’ai décidé de quitter les Pompiers de Paris et de me lancer. De là est partie la série “Broken souls” un an plus tard à Los Angeles. Je suis parti avec mes sandwichs dans le quartier de Downtown pendant deux jours à la rencontre des sans abris. Je voulais vraiment faire une immersion. J’ai eu énormément de refus. On peut croire que les sdf attendent de l’aide mais généralement ils n’attendent rien de personne. Il y a une vraie cassure, une marginalité. Et puis la magie est arrivée.
J’ai échangé avec certains, la porte s’ouvre sur leur vie mais le temps qu’ils nous donnent est très bref. Finalement ils acceptent la photo. Je me donnais 15 à 20 secondes pour faire mon travail, de ça je me sentais trop intrusif. Mon challenge était de capter une émotion durant ce court instant. Je shootais avec une focale de 55 ce qui m’oblige à rester à 1m20 de la personne, c’est peut-être ce qui donne l’effet de plonger dans leurs yeux. Mon objectif artistique était de travailler le regard et les mains.
Quel est votre élément déclencheur pour shooter ?
Je vais démystifier le côté magique d’une seule image pour avoir une belle image. Il faut faire beaucoup d’images pour en avoir une belle. Comme disait Jacques Brel “le talent c’est le travail”. Quand on voit une image et qu’elle est merveilleuse, ce n’est pas juste une image isolée de toute chose. Donc je suis un photographe qui prend beaucoup de photos pour essayer d’en sortir le meilleur.
Je travaille mon modèle en me déplaçant pour capter ses expressions, son visage, ses mouvements, la lumière sur son visage. Je travaille la lumière d’abord, la composition et ensuite l’émotion. J’ai travaillé la série « Broken souls » en shootant en 20 secondes maximum chaque portrait. Après l’exposition de cette série de portraits, je n’ai pas osé leur montrer. Une peur certainement.
Car quand je prends une photo de quelqu’un, je n’aime pas que la personne ne s’aime pas. J’ai l’impression d’avoir échoué. Mais ce qui était fabuleux pendant l’exposition, c’est que les gens n’arrivaient pas à décrocher d’un portrait pour aller à un autre car ils avaient l’opportunité pour une fois de prendre le temps de regarder un regard. Et ce qu’on m’a dit souvent c’est “ils sont beaux” !
Le travail de la photographie a-t-il été long à assumer ?
Oui très long. Je pense avoir fait un peu le point sur moi. Adolescence “difficile”, banlieue parisienne assez aisée, j’avais tout ce que je voulais, je pouvais tout faire alors je ne savais pas quoi faire. Finalement je me cadre en rentrant chez les pompiers de Paris pendant 11 ans. J’ai eu le grade de sergent chef. Donc à partir de là je me suis forgé un profil très autoritaire, très carré, rigoureux, et donc militaire.
A partir de là j’ai essayé de canaliser mes émotions, de ne pas les montrer. J’étais l’un des meilleurs de mon contingent mais j’ai décidé de faire autre chose car c’était trop. Cela fut un bon moyen pour apprendre à me canaliser mais surtout j’ai appris la rigueur que je retrouve dans mon organisation et surtout dans mes images. Je suis très perfectionniste. Je suis assez chirurgical mais parfois j’aime laisser parler la magie de l’instant.
Y a-t-il une relation entre le feu et la photo ?
Le feu est à la fois illimité, infini. Bien entendu on peut le priver d’oxygène pour l’éteindre. Mais globalement c’est intriguant car la flamme est impalpable artistiquement. C’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas ; un coup il part à droite, à gauche et ce ne sont que des courants d’oxygènes. Et ces courants on peut les assimiler à des courants artistiques.
On décrit souvent la passion comme une flamme. Donc oui, il y a une relation avec la photo. Je suis passionné par la photo et j’aime beaucoup regarder les autres photographes. Le feu je l’ai étudié ; feu naissant et ensuite feu généralisé, mais je ne vais pas rentrer dans la sémantique du pompier.
Et Los Angeles, depuis combien de temps ?
Depuis mai 2016. Avant ça il y a eu deux voyages. Au départ avec mon épouse, qui est gendarme, on voulait prendre une année sabbatique. Un ami nous a accueillis et l’aventure américaine a commencé. Je suis tombé complètement amoureux de cette ville. Il y a une énergie qui est due à la lumière et à la créativité des gens. Je ne rencontre que des gens qui tentent des choses.
J’adore le cinéma, et j’aimerais un jour faire directeur de la photographie pour un film. Los Angeles est une terre d’opportunités. Pour moi l’artiste est un fou qui a réussi. Pour l’instant je suis au niveau du fou et si je réussis, on pourra me dire “et oui, tu es un artiste maintenant !”.
C’est quoi réussir ?
C’est la reconnaissance de mes pères. J’en découvre et j’en rencontre. Je suis l’assistant d’un photographe spécialisé dans la voiture, Patrick Curtet. Il est venu me chercher parce qu’il a visité mon exposition. Que ce photographe renommé dans sa discipline apprécie ma photo et mon regard me rassure et me touche. Et surtout la reconnaissance du public. J’accorde plus de crédit purement objectif en tant que technique photo à un photographe mais en revanche quand je reçois des compliments c’est que j’ai réussi à offrir une émotion et le pari est gagné.
Et la mode ?
J’y viens petit à petit. J’ai été repéré par mes portraits et mes paysages. La photo de mode demande un travail d’équipe. On me surnomme parfois “le pompier de la photo” car j’aime beaucoup aider et donner mes conseils. J’aime ce travail avec un model. On me donne une tenue, la tenue est portée et là commence mon travail. Quand la magie du vêtement opère sur le model, là, ça m’intéresse.
Je vais connecter les deux avec des lignes. La matière du vêtement, le tissu va me donner des indications sur le travail possible et il y a ce que je vais demander au model. Mais avant de rentrer dans le shoot, j’ai une étape vraiment importante c’est que je vais discuter avec le model. J’ai besoin de commencer par une conversation. J’ouvre mon model sur beaucoup de sympathie et de mise en confiance. Je demande à mes models d’être naturel.
En revanche, le problème de la maigreur pour certain model m’affecte. Car la santé est importante. Et de toute façon il n’y a pas de belles photos si il n’y a pas une bonne santé. Je trouve qu’il y a tromperie dans les photos qu’on peut en faire. Les gens de la mode qui m’ont repéré c’est grâce à mon exposition “Brocken souls” et mon plus grand défi aujourd’hui c’est de mettre cette empreinte dans la mode.
Avez-vous des projets ?
J’ai envie de développer une série de portraits par rapport à un lieu. Le lieu dépendra de la personne. Je vais demander au model un travail d’acteur. Je veux travailler avec un model qui soit extrêmement libérée, détendue qui n’a aucun complexe avec elle-même. Car je veux aller chercher l’émotion. Et faire cela sous forme de tableaux. Mais je veux trouver la bonne personne. Ça sera un travail d’équipe.
Il y a eu un voyage récemment à Bordeaux dans des châteaux prestigieux…
C’était un reportage effectivement. J’ai rencontré des chefs de Los Angeles qui étaient à Bordeaux pour déguster les plus grands vins. Bordeaux est une ville merveilleuse. On a vécu une expérience humaine incroyable ! J’ai eu à faire qu’à des artistes ; du sommelier au chef. Benjamin qui est le créateur de ce projet a pris tout ça de manière très artistique. On est sorti des clichés des châteaux fermés, tout était vraiment très riche.
Ce terroir, cette bonne veille France, nous a révélé ses saveurs et sa convivialité. Quand je prenais les chefs en photo en fait on se ressemblait car ils sont aussi passionnés. En photo comme en cuisine on fait une recette. Et la démarche finale c’est d’offrir notre passion et de la partager.
Où avez vous appris la photographie ?
Je suis un autodidacte dans ce domaine. J’ai tout appris seul. Je trouve cela très important de maitriser la technique de son appareil et je connais très bien mon matériel photo, ça c’est mon côté pompier! Et il y a eu l’apprentissage de la lumière. Et ça c’est fabuleux ! Quand on apprend la lumière on se rend compte que avant on était aveugle. La lumière révèle les couleurs car sa chaleur fait réagir les couleurs différemment. C’est infini.
J’ai fait un travail récemment “à la manière de Jane Birkin” et donc j’ai écouté beaucoup de Gainsbourg. Et il y a une chanson où il y a juste le murmure de Jane. Mais Gainsbourg est un génie d’avoir fait ça! C’est une chanson fabuleuse, il murmure et elle murmure. On a que le son d’un murmure.
Alors j’essaie de transposer ça. Qu’est ce qu’un murmure en chanson et comment je peux transposer cela en photo. Je pense que pour trouver de nouveaux concepts il faut surtout s’inspirer d’ailleurs. Ce qu’on trouve de génie à l’extérieur, il faut que je trouve à y mettre quelque chose dedans. Le murmure de la photo, c’est un concept. Pourquoi pas donner du mouvement dans le statique ? Mais j’insiste sur le côté émotionnel et humain. C’est ce que je veux transmettre. On n’existe pas tout seul. Et quand on a un savoir, il faut le donner, il ne faut pas le garder.
Interview réalisée par Barbara Sensey