Léo Piastra est un photographe qui préfère raconter les émotions, la matière à travers la photo. Les mots ne suffisent pas pour immortaliser alors il capture des instants ou des ambiances pour faire ressortir l’essentiel. La simplicité est pour lui proche de l’élégance. C’est en toute simplicité que Léo a posé des mots sur ses photos.
Maison Sensey : Ça a débuté comment ?
Léo Piastra : Avec mon père qui m’a offert mon premier contact avec la photo en argentique et ça a été un moyen entre lui et moi de nous lier. Il m’a donné un boîtier moyen format avec lequel j’ai pu prendre en photo mon neveu. De ce jour il m’a vraiment transmis la patience du cadrage, du déclenchement. Quand on est photographe on a une relation un peu particulière avec le déclencheur de l’appareil. Il y a quelque chose de très puissant avec un boitier moyen format.
Après ces premiers clichés, nous avons poursuivi l’expérience en chambre noire pour développer le film et réaliser le tirage du portrait de mon neveu. La seconde expérience est passée par l’approche du matériel et j’ai découvert le boitier numérique avec tous ses avantages et ses inconvénients.
Je me suis fixé des objectifs pour comprendre la technique de la photo. Mon père m’a offert mon premier boitier numérique avec lequel j’avais une optique de pas très bonne qualité alors j’ai adapté les objectifs argentiques dessus. Ce fût un apprentissage complètement manuel et ça a été cette contrainte là qui m’a forcé à comprendre ce que je faisais avec un appareil. J’ai eu un toucher argentique avec la photo mais avec l’avantage du numérique. Donc l’avantage de pouvoir se louper, de voir directement comment j’avais réussi une photo. J’adore apprendre tout seul et j’ai besoin de comprendre comment fonctionne quelque chose avant d’exploiter l’objet que j’utilise.
Après est venue la pratique ; sortir avec une focale fixe tout le temps et déclencher très souvent dans la rue. La photo m’a toujours accompagné pour me faire grandir jour après jour. Il n’y a pas une journée sans que je fasse de la photo. La photo est tout simplement obsessionnelle. J’ai toujours un déclencheur virtuel dans ma tête qui m’inspire de superbes images, toujours cette envie de figer l’instant et de mettre en avant une matière ou une ambiance. Donc ça a débuté il y a bientôt 10 ans.
Quelle a été votre première expérience de shooting photo ?
La première fois que j’ai eu la chance de le mettre en pratique cela a été avec la Maison Mauban il y a 3 ans. Avec Edouard Quinchon, nous avons construit l’image de Mauban. On s’est très bien entendu et on avait tout les deux à cœur de mettre en avant des détails du produit mais avec derrière un contexte, une histoire qui me semble importante pour transmettre une émotion. Et après, les choses se sont faites de façon naturelle, j’ai rencontré d’autres marques.
Comment vous arrivez à sublimer un produit ?
C’est avant tout mettre en avant la fabrication, la matière du produit. Afin d’avoir vraiment la sensation de toucher la matière, de se projeter avec le produit. C’est aussi de présenter le produit dans un contexte d’utilisation, et de construire une histoire. J’accorde beaucoup d’importance aux détails.
Par exemple, si on prend la matière plastique, il y a plusieurs nuances de ce matériau et donc je m’efforce de faire ressortir ces différences pour pouvoir toucher avec les yeux. C’est la fusion de la fabrication et la matière qui m’intéressent.
Quel est l’objet qui vous a le plus fasciné à travailler ?
La chaussure est un objet qui me donne de l’émotion. A la fois à la prise de vue car j’essaie de sublimer au maximum la matière et de retranscrire ce toucher. Le cuir est une matière incroyable et il faut que cela puisse se ressentir à l’image. Et j’ai une responsabilité de mettre en avant un objet qui est fait à la main, qui représente des heures de travail et qui est le fruit de plusieurs artisans.
Je veux qu’on puisse voir par les images tout le travail qu’il y a derrière. Et donc, mettre l’accent sur les détails de la fabrication car cela peut paraître anodin mais une couture sur cuir c’est très beau, régulier, c’est un savoir faire. Oui, le cuir est une matière qui me fascine car elle est vivante.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
C’est la question que je redoutais! Je m’inspire de tellement de choses différentes, de secteurs différents. Je vais passer énormément de temps à regarder des photos sans savoir qui les a réalisées, c’est là où je m’en veux un peu mais je travaille dessus.
Mais j’essaie de me nourrir d’un maximum d’images, de livres de voyage, de comptes Instagram de certains photographes. Je puise l’inspiration tous les jours, partout. Je m’inspire de toutes mes passions car je suis un passionné compulsif.
Quelles sont vos autres passions ?
Je me passionne pour beaucoup trop de choses ; je suis passionné de moto, de café, de design entre autre, tout ce qui touche à la matière en fait. Et parfois lors d’un shooting photo, mes passions m’inspirent et font ressurgir quelque chose de déjà vu ou vécu. Je suis peut-être volatile mais j’essaie de retranscrire dans mes photos ce que peut m’apporter la vie chaque jour.
Et il paraît que c’est beau une ville la nuit ?
Oui, c’est beau une ville la nuit ! Je vis beaucoup la nuit. Je découvre Paris au gré de mes sorties nocturnes parisiennes. Je fais des photos plus la nuit que le jour. C’est une méthode de découverte de la ville car je n’ai pas grandi à Paris.
Paris la nuit c’est une deuxième ville. C’est un autre rythme de vie, il y a toujours de la vie, peu importe l’endroit il y a toujours du monde. Les endroits prennent un autre angle. C’est très souvent des sorties solitaires la nuit, Paris est plus fascinante la nuit.
Quel endroit de Paris vous a donné le plus d’émotions ?
Tous les quartiers sont beaux, différents à chaque fois, ils sont singuliers. La nuit permet de cacher souvent des choses qui ne sont pas très belles le jour. En fait j’ai du mal à mettre des mots dessus c’est peut-être pour ça que je les prends en photo. Il n’y a pas forcement besoin de mots. C’est peut-être une facilité pour moi de prendre les choses en photo cela m’évite certainement de mettre des mots dessus.
Vous êtes aussi un amateur de cigare, la photo et le cigare font un bon mariage ?
Mes belles sorties dans Paris ça a été ça ; c’est une bonne paire de chaussures, un appareil photo et un cigare. Et je suis toujours seul.
Vous avez fait des photos de la Dame de Fer. Qu’est ce qu’elle offre quand on la capture en image ?
La Tour Eiffel est à chaque fois incroyable. On peut la voir tous les jours elle a cette capacité a être toujours fascinante. Sa construction est incroyable, elle hypnotise. Je me sens toujours petit quand je suis à ses pieds. Quand je suis en moto et que je passe, il y a un mouvement incroyable quand on regarde la Tour Eiffel de si bas et avec le mouvement elle change d’échelle. C’est quelque chose qui est très compliqué à reproduire en photo.
Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion d’y monter pour faire quelques clichés. Et là encore ça a été important pour moi de me focaliser sur des parties de la Tour Eiffel pour montrer sa construction. Et cela a été très important pour moi de photographier le moindre boulon qui appartient à ce monument parce que c’est une matière qui est folle.
Elle est étourdissante. Car quand on est en haut dans ce monument énorme on ne peut que constater que l’homme est très petit. La Tour Eiffel c’est un ensemble. On voit la Tour Eiffel soit de très près ou de très loin, car elle donne beaucoup.
Vos photos sont toujours liées à la matière, à l’histoire…
Oui c’est très important pour moi. J’ai besoin encore une fois du contexte. J’ai fait récemment des photos pour des ballerines pliables, mais encore une fois je ne suis pas sur une commande de photos, c’est une rencontre avant tout, c’est un feeling, j’ai besoin de connaître l’histoire et pour me rendre compte à quel point l’artisan va tout donner pour son produit.
Et de connaître aussi ses galères sur la création de son produit. Car c’est important pour moi montrer que le créateur ou l’artisan a passé du temps pour obtenir la perfection. Je pense que c’est souvent dans les détails que l’on peut construire une histoire.
Comment arrivez-vous à travailler la simplicité de vos photos ?
Alors j’ai un côté très maniaque, mais j’ai du mal avec la surcharge. J’aime beaucoup la simplicité. L’envie surtout de créer quelque chose de très sobre sans parasite. L’épuré est très proche de l’élégance. Les deux sont liés.
Vous seriez capable de mettre de l’élégance dans un produit kitsch ?
Ça serait un défi intéressant ! Tout est rattaché à l’ambiance, on fait dire ce que l’on veut à un objet. Mais encore une fois la sobriété est un premier pas vers l’élégance et je la recherche à chaque fois. J’aime l’état brut des choses et donc cela ne demande que l’essentiel.
Mais je reprends le shooting avec la Maison Mauban : nous étions dans un appartement poussiéreux et en travaux et nous étions dans ce contexte pour sublimer des souliers sur-mesure! J’ai beaucoup aimé cet environnement très brut pour mettre en avant ces souliers. Un produit brut dans un contexte brut c’était juste parfait. Ce chantier nous a donné beaucoup de matière, une très belle lumière et on a réussi à faire à mon goût quelque chose d’élégant dans un contexte surprenant.
Quelles sont les personnalités qui vous inspirent ?
Malheureusement je n’en ai pas. Je suis venu par défaut à faire de la photo de mode et j’ai une très mauvaise mémoire des noms. Encore une fois les mots ne vont pas avec la photo! Je suis tellement obsédé par l’image finale que j’en oublie certaines caractéristiques. Mais je m’en veux énormément. Mais je n ai pas envie de me spécialiser dans un domaine, c’est mon côté touche à tout. Je sais qu’on ne peut pas être bon partout mais une expérience va influencer une autre donc j’ai besoin de tous ces univers.
Un voyage en Islande va m’influencer dans mon travail avec les marques, comme la sobriété et l’élégance de la photo d’un produit m’ont influencé dans mes photos de voyages. Je pense que cela peut créer une signature, le fait de ne pas se spécialiser dans un domaine. Mais aussi peut être parfois de m’étaler. Mais je garde un regard très critique sur mon travail, et je suis très ouvert à la critique.
Vous auriez une baguette magique, qu’est-ce que vous aimeriez améliorer dans votre travail ?
J’aurais une baguette magique, ça serait de retranscrire à coup sûr une émotion qu’on peut avoir en voyant un produit. De montrer l’émotion que ressent un passant dans la rue, ce n’est pas palpable et tant mieux. Je m’efforce à toujours donner cette émotion. Chaque sortie photo est un travail sur mon travail. Je laisse aussi le temps au temps. Il faut de la patience pour la photo. Et ça a été le premier travail sur moi-même : la patience.
Je regarde les photos d’un shooting deux ou trois jours après, parce que j’ai immortalisé avec mon appareil et j’ai photographié avec mes yeux. Et il faut que lorsque je revois mes photos cinq jours après j’arrive à matcher les deux. Plus les photos sont traitées rapidement moins je vais être content du résultat.
C’est toujours l’importance de transmettre ce feeling donc j’ai besoin de ce temps de repos et surtout pour retransmettre ce que moi j’ai pu ressentir. Je suis aussi obsédé par le temps, les journées sont trop courtes et en même temps j’ai besoin de temps. Il faut donner le temps aux choses de se reposer pour y revenir et pour essayer de retrouver ce qui s’est passé. C’est la quête de tout photographe je pense. J’essaie d’avoir suffisamment de recul pour me réaliser.
C’est à l’opposé de mon métier dans le digital où tout est très instantané, où tout va très vite. Le digital est compatible dans la photo mais ça a vulgarisé et ça a blessé la photo.
Qu’est ce qu’on comprend quand on travaille avec un appareil argentique ?
On comprend comment immortaliser un instant sur une pellicule, on comprend les trois facteurs qui vont faire qu’une photo va être réussie ; la lumière, la sensibilité et le temps. L’argentique permet de se focaliser dessus. C’est dans la contrainte où on est le plus créatif, cela a permis plus de simplicité dans mon travail. C’est une satisfaction personnelle, c’est toujours dingue de développer son film soi-même.
La photo m’aide ou elle m’évite à dire ce que je ne saurais pas expliquer. Je préfère raconter ce que je vis en image. Et la plus belle des victoires c’est que la personne qui regarde l’image ait la même émotion. La photographie a été révélatrice. Cela a été un refuge et une manière de raconter. Je regrette juste de ne pas avoir eu un déclic avec la photo plus tôt. Pour immortaliser les choses de la vie sur lesquelles on ne peut pas revenir.
Un dernier mot pour conclure…
Nous sommes dans un superbe endroit de Paris, à Beaubourg dans un endroit d’art, entouré d’arbres… merci pour cette rencontre et ce qui est génial c’est le fruit d’une rencontre commune. Donc mon dernier mot : la passion.