G. Lancelot est une Maison de maroquinerie d’exception. On n’y trouve que des cuirs rares. Le travail de la grande mesure des artisans d’art donne une âme à chaque création et offre un héritage à chaque client. Guillaume Lancelot est un homme passionné par le beau, la matière, la création et la fabrication artisanale d’excellence. Autant de critères d’exception recherchés par les plus fins connaisseurs de l’hyper luxe. L’artisanat d’art est un monde merveilleux et confidentiel, nous vous en offrons une de ses pépites.
Maison Sensey : Ça a débuté comment ?
Guillaume Lancelot : Ça a débuté il y a 30 ans, et j’ai 30 ans donc depuis toujours. Enfant, je faisais beaucoup d’équitation, et on y apprend à entretenir le matériel, les selles, les brides. Ce fût un premier début. Il y a eu plusieurs débuts en fait. Le second a été une rencontre avec un bottier japonais qui travaillait chez Pierre Corthay et j’étais fasciné par sa manière de travailler.
Le fait de le voir tout faire à la main, sa chaussure entre les jambes, de la première esquisse sur une feuille blanche, au soulier fini. Avoir un nombre d’étapes de savoir-faire, d’aller jusqu’au bout dans la recherche de la perfection m’a passionné. Depuis ce moment, j’avais une soif d’en apprendre plus sur l’artisanat.
J’ai rencontré des ferronniers d’art, des ébénistes, des bottiers, des selliers, des bourreliers et j’ai commencé à faire de la maroquinerie moi-même sans formation. En parallèle, je travaillais pour des grandes Maisons sur d’autres fonctions et je devais alors faire un choix. J’ai choisi de faire de l’artisanat mon métier ; j’ai décidé de créer G.Lancelot il y a 4 ans.
De ces deux expériences j’ai alors fait ce constat : il y a quelque chose qui manque entre les grandes Maisons et ces artisans dans la maroquinerie. Il manque une offre qui serait vraiment le travail de la grande mesure que font les artisans ; c’est à dire partir de la feuille blanche pour arriver à un produit d’exception et avec une expérience unique, une expérience humaine. Donc ça a commencé comme ça il y a à peu près 4 ans!
Pourquoi le cuir est-il fascinant pour vous ?
La matière est dingue! Il y a deux matières qui sont extraordinaires pour moi c’est le cuir et le bois. Ce sont des matières qui se patinent avec le temps. La notion du temps, la transmission, de voir l’effet du temps sur quelque chose c’est magique. C’est une matière qui peut être plus ou moins figée c’est à dire qu’on peut avoir des cuirs en constante évolution. J’ai restauré un portefeuille qui avait 130 ans, on a restructuré les coutures, re-nourri le cuir mais ce portefeuille est un livre. Il est dans la même famille depuis 130 ans, il se transmet de père en fils, c’est fantastique!
C’est la notion du travail à la main, de l’artisanat d’art qui me plait. J’aime l’idée de perfectionner un geste, jusqu’à le maîtriser. D’arriver sans autre aide que ses mains, son cerveau et sa passion à faire des choses étonnantes. Ma partie de création est très excitante. Je me retrouve devant ma feuille blanche un peu comme un écrivain. Quand je connais bien mon client c’est toujours très inspirant et j’arrive toujours à réaliser un produit qui lui ressemble.
Pour le choix du cuir, l’essentiel c’est d’avoir un cuir qui s’adapte à la pièce et après c’est aussi une histoire de sensibilité. C’est mon client qui me donne les ingrédients et je ne suis que le traducteur…
Qui sont vos clients ?
J’ai essentiellement des hommes. Mais également des femmes ! Cependant, la démarche de la grande mesure est assez masculine. Car cela demande un investissement en temps, en argent qui est très important pour avoir une seule pièce et qui est destinée à durer des générations et cette notion c’est plutôt masculine. Les femmes auront tendance à vouloir plusieurs sacs pour les adapter à différentes tenues, avec un plus grand besoin de diversité et des goûts qui évoluent avec le temps.
C’est pour la même raison qu’on trouve chez les tailleurs en grande mesure beaucoup plus d’hommes que de femmes. Mais je prends beaucoup de plaisir à créer pour les femmes, il y a une plus grande liberté.
Vous avez créé un sac à main en galuchat, combien de temps de travail a t’il nécessité ?
En travail du cuir, un peu plus de 30 heures et en travail de création au moins autant avec des allers-retours à Londres pour voir mon client. Certainement 70 heures de travail en tout.
Quelle expérience client offrez-vous ?
Si on fait de l’hyper luxe quelque chose d’extrêmement poussé, on va se mettre à la place du client. Je pense qu’il a envie d’être tout seul, il ne veut pas un temps limité et il veut avoir en face de lui un professionnel qui maîtrise la technique, qui soit capable de lui expliquer la différence entre un piqué sellier et un point sellier, la différence entre les cuirs et puis surtout qu’il ne soit pas dans une offre fermée.
Je n’ai pas d’horaires imposés, on prend rendez-vous et je me déplace à l’heure et au lieu qui convient à mon client. J’arrive avec mes échantillons de cuir et on commence à discuter. Là commence tout le travail de découverte. Les besoins de fonctionnalité, ses goûts, ses habitudes…
Vous m’avez montré des cuirs rares, d’exception, dites m’en plus.
Le Kurozangawa c’est un cuir de bœuf de Kobé, fait avec un tannage incroyable qui prend environ trois mois. Il est laqué à la main, possède une excellente aisance au temps et c’est un cuir traditionnel qu’on utilisait sur les armures de samouraï. La laque permettait d’avoir une résistance aux flèches! C’est avant tout pour ça que c’est laqué, ce n’est pas du tout dans un but esthétique.
Il s’avère que c’est très beau et qu’aujourd’hui la tannerie qui le fait s’est recyclée (étant donné qu’il y a moins de samouraï). Mais c’est un cuir en tout point exceptionnel, extrêmement rare, très qualitatif et surtout qui a une histoire !
Il y a aussi le cuir de queue de castor qui est un cuir qui est très compliqué à tanner, il y en a très peu. Le travail pour dégraisser la peau est très long et fastidieux. C’est un cuir qui est un peu tombé dans l’oubli mais pourtant très beau.
Et bien évidemment il y a le cuir de Russie qui a déjà une grande réputation car il était très prisé jusqu’au XXème siècle. Ses parfums ont été beaucoup utilisés en parfumerie. Ce cuir est tellement tombé dans l’oubli à la révolution de 1917 qu’on ne savait même plus comment le réaliser ni comment retrouver ses senteurs uniques, son un grain merveilleux, son toucher superbe, qui de plus résiste extrêmement bien à l’eau de mer.
Dans les années 70, des plongeurs ont trouvé dans une épave en mer du Nord des cuirs de Russie intacts, qui avaient passé plus de 200 ans sous l’eau et depuis cela en a ressuscité l’intérêt. C’est une historienne qui a fait plus de deux ans de recherches et a réussi à en retrouver la recette. Elle est allée voir une tannerie et ils commencent à en refaire. Cela reste encore extrêmement confidentiel.
Comment qualifiez-vous votre Maison ?
Instinctivement, le mot qui me vient c’est artisanal, car on fait exclusivement de la couture main. Nous avons un très bel atelier, notre renommée est internationale, nous ne travaillons que des cuirs rares. C’est une Maison confidentielle. L’anonymat est comme une couverture chaude. La Maison s’efface pour mettre en valeur notre client. C’est une des composantes du luxe. Le luxe c’est une posture, c’est une éducation et comme toutes les belles choses cela demande d’être apprivoisé.
Quel constat pouvons-nous faire sur l’artisanat d’art aujourd’hui ?
De façon globale, l’artisanat d’art s’améliore peu à peu. Les artisans aujourd’hui ? On en utilise l’apparence mais on ne les utilise pas eux. Ils manquent de visibilité aussi… Aujourd’hui on entend beaucoup parler de la French Tech, d’innovation. Quand on cherche des aides financières ou des investisseurs tout le monde dit “êtes-vous innovant” ?! Tout le monde cherche ça comme si c’était la seule porte de sortie. C’est dans ce contexte que les artisans se sentent un peu délaissés car on parle d’artisanat en surface mais dans le fond ils ne sont pas assez innovants pour qu’on s’intéresse à eux!
Si vous deviez attribuer un cuir et un objet à Maison Sensey, ça serait quoi ?
Je serais assez tenté par un croco nubucké avec de la feuille d’or. Un travail que j’ai fait avec une artiste. C’est un mariage qui peut paraître un petit peu brut mais avec une très belle part de féminité, un très beau travail artistique. Ce n’est pas juste fonctionnel, il y a une recherche de la beauté pour la beauté.
Et un objet poétique autour de l’écriture car c’est ce que vous faites, un conférencier de poche par exemple.
Vous faites un événement prochainement avec Romain Biette de chez Ardentes Clipei ?
Oui absolument! On réfléchit à cet événement depuis longtemps avec Romain et moi. Car nous avons la même clientèle et donc pourquoi ne pas marier nos savoir-faire ? Il y a également un napolitain qui fait de très belles cravates et des foulards et même des cravates pour femme. C’est le 20 et 21 octobre Chez Ardentes Clipei au 16 Rue D’Aumale à Paris, c’est uniquement sur rendez-vous pour privilégier la rencontre avec nos clients.
Un dernier mot…
Si je suis aussi passionné par ce que je fais et par l’artisanat c’est grâce à la dimension humaine de mon métier. L’artisanat est un monde merveilleux, il se mérite.
Interview réalisée par Barbara Sensey